Pensée du jour #3 : Si l’habit fait le moine, les lunettes rondes font-elles l’érudit ?

Source image à la Une : http://www.photo-vienne.com/gallery/salons-de-the/

 

Il est des rencontres fugaces mais intenses.

Je vous livre le portrait – complètement imaginaire – que j’ai dressé d’une femme que j’ai croisée dans un café, puis je vous explique l’anecdote en lien avec ce texte.

Coffee
Source image : https://www.tumblr.com/search/fale%20gif

 

Juste à la voir, on sent l’odeur des vieux manuels scolaires et on voit la poussière des siècles tomber sur Les Misérables de Hugo. Pourtant, sa mise impeccable est résolument moderne, de son pantacourt slim à son petit chemisier blanc en passant par ses sandales d’une élégante simplicité. Note fantaisiste (ou indice d’un certain goût pour le kitch ?) dans cet ensemble trop sage : des boucles d’oreilles qui, de loin, ressemblent à deux radis oranges transgéniques.

C’est dans ce café original, ce lieu où l’on marie avec bon goût boisson et littérature, que l’ancienne professeure de français vient jouir de sa retraite en compagnie des hommes et des femmes – surtout des femmes –, qui ont contribué à l’épanouissement de sa pensée, et par lui, à l’élaboration de sa vie. Pierre Rabhi, Daniel Pennac, Georges Orwell, Georges Sand, Olympe de Gouges, Simone de Beauvoir, Benoîte Groult, Jeanne Austen, Virginia Woolf… Tous sont là, convoqués en désordre sur les étagères qui courent le long des murs de l’établissement en vomissant des livres du sol au plafond. Ici, il est courant de s’aborder avec la familiarité de vieux amis entre inconnus mordus de littérature, et ils sont nombreux à fréquenter l’endroit. Des étudiants en lettres, des écrivains en herbe de tous âges, des animateurs d’ateliers d’écriture…

En leur absence, il lui reste encore à profiter des joies de la lecture dans l’odeur exquise du papier et du café. Pour une raison obscure, elle a toujours aimé l’odeur du café, mais n’a jamais pu en supporter le goût. Alors, pour elle, c’est lait froid avec sirop de vanille. Et pendant que ses papilles se délectent, son esprit fait festin des mots de François Mauriac dans son roman Le Désert de l’amour.
La concentration lisse son visage et l’on ne voit pas ses yeux bouger derrière ses petites lunettes rondes. Seul signe de vie, sa main distraite qui tripote ses cheveux bruns courts, ondulés et permanentés.

De temps en temps, elle relève la tête et son regard balaie ce qui se passe autour d’elle, mais son esprit est toujours dans le roman en vérité, et ce qu’elle voit avec ses yeux physiques ne fait pas grand sens pour elle. C’est ce qui lui donne cette expression impassible et lui confère l’air inaccessible et presque hautain que les autres gens trouvent naturellement aux érudits. Ceux dont l’esprit semble toujours flotter bien trop haut dans les sphères cosmiques pour qu’on puisse encore espérer les rattraper. Mais de toute façon, elle ne souhaite pas être rattrapée. Elle a horreur qu’on l’interrompe lorsqu’elle écume la mer blanche de la littérature sur les petits esquifs noirs des mots des auteurs.

Ses collègues se plaignent d’être en retraite. Ils disent qu’ils se sentent déjà morts, relégués au rang des souvenirs, oubliés. Elle ne voit pas de changement pour ce qui la concerne, aucun de ses vieux compagnons ne lui a fait faux bond depuis qu’elle a quitté le circuit. Au contraire, les auteurs, ravis qu’elle ait plus de temps à leur consacrer, ont resserré les rangs autour d’elle.

Comme ils ont porté sa vie, elle a toute confiance en eux pour la soutenir jusqu’à ce que l’éternité engloutisse l’existence qu’elle leur a vouée.

Coffee bis
Source image : http://rebloggy.com/post/gif-love-couple-cute-vintage-dancing-coffee-cafe-book-old-ballet-dance-paris-gla/84375939547

Merci de m’avoir lu. Maintenant, comme promis, la petite explication.

Il y a quelques jours, j’attendais une amie, attablé dans Le Biblio Café à Poitiers. Et depuis ma place, j’observais les gens… J’adore ça, regarder mes semblables vivre. Je fais provision des petites manies que j’observe, des tics de langage, des changements de vibrations dans la voix, pour les ressortir quand je souhaite donner du relief à mes personnages ou à mes textes. Mais cet après-midi-là, personne ne me passionnait vraiment jusqu’à l’arrivée d’une dame, probablement sexagénaire, dont la démarche haute et dynamique a attiré mon œil.

Elle s’est attablée dans le coin opposé au mien, et (peut-être l’intensité de mon regard m’a trahi, peut-être se demandait-elle ce que je lui voulais, si elle me connaissait) elle m’a longuement regardé. On s’est souri, puis elle s’est désintéressée de moi pour s’installer. Elle a sorti un livre de son sac, un ordinateur, des stylos et un bloc notes en indiquant à la serveuse qu’elle attendait quelqu’un.

Je ne sais comment expliquer que cette personne parmi toutes les autres m’ait fait monter l’envie d’écrire, mais tandis qu’elle lisait, je dégainai mon fidèle carnet et griffonnai, en mode écriture automatique, le texte que vous venez de lire.
Parfois, nos regards se croisaient. Je m’attendais presque à l’entendre me demander ce que je faisais, et à cet instant où je laissais le jaillissement créatif me porter, j’aurais bien été capable de lui répondre « je vous invente une vie ».

En y pensant, j’ai trouvé cette « démarche » incroyablement intrusive (et mea culpa, je n’en suis pas à mon coup d’essai). N’étant ni médium ni grand joueur de poker, il y a peu de chance pour que j’aie frappé dans le mille et que cette dame soit réellement une prof de français à la retraite, donc comment puis-je trouver que j’aie fait preuve d’indiscrétion sur sa vie alors que je ne la connais justement pas ?

J’ai compris que ce qui m’a dérangé après coup, c’est que j’ai prêté une vie à cette personne sur sa seule apparence physique et sur ce qu’elle renvoyait à l’instant T. Comme tellement de gens le font tous les jours, de façon rarement juste et parfois avec de mauvaises intentions.

Ces réflexions m’ont amené à cogiter sur l’utilisation de clichés dans la description de personnages en littérature. Sur les détails physiques présents dans le texte, je n’ai rien inventé, ma « muse » portait réellement de petites lunettes rondes, semblait vraiment « ailleurs », inaccessible, et elle possédait bien un livre qu’elle lisait en se triturant distraitement les cheveux. Autant d’éléments additionnés qui ont laissé penser à mon cerveau qu’il contemplait peut-être une littéraire…

Son âge, sa tenue vestimentaire (moderne, mais classique) et l’ambiance du lieu auront fait le reste.

Du coup, on peut se dire que mon cerveau est allé directement à la facilité en choisissant ce prêt-à-porter littéraire sans chercher plus loin. Les petites lunettes rondes sont-elles le signe irréfragable de l’érudition ? Évidemment non. Il n’empêche qu’elles peuvent aider à la caractérisation du personnage (et donc à son identification et à sa mémorisation pour lae lecteur•trice), et qu’il ne tiendrait qu’à moi par la suite de creuser la personnalité de ma prof de français pour la rendre plus profonde que le cliché.

J’en suis venu à la conclusion que dans la littérature, comme dans la vie, le jugement sur l’apparence est incontournable, et peut-être utile, à condition de laisser au personnage, ou à la personne, l’opportunité de se livrer au-delà de ce qu’il•elle donne à voir de lui•d’elle.
En d’autres termes : n’ayons pas peur d’utiliser des clichés, mais apprenons à en faire une utilisation intelligente.

Finalement, j’ai appris que cette dame attendait quelqu’un pour travailler sur un séminaire dont je n’ai pu saisir le sujet, car mon amie est arrivée juste après la personne qu’elle attendait, m’obligeant à terminer mon texte abruptement et me distrayant de mon film mental… Je ne saurais jamais si ce fameux séminaire portait sur la littérature ou sur la physique quantique !

Si jamais vous vous reconnaissez, Madame, merci pour cet aller-retour express au pays de l’inspiration, et bonne chance pour votre séminaire ! J’espère que vous me pardonnerez de vous avoir, l’espace de quelques minutes, prêté une vie et une personnalité qui sont peut-être à 1 000 lieux des véritables. (Désolé aussi pour le coup des radis.)

Amour, paix et écriture pour tous•tes !

 

Chris

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