Ce texte était censé paraître en réponse à l’un des défis 30 jours d’écriture, mais l’intensification de mon activité professionnelle durant le mois de mars ne m’avait pas laissé le temps d’en achever la rédaction.
Kea Ring, l’initiatrice du challenge, nous demandait de créer un personnage que l’on aimerait pas rencontrer. Je n’ai pas créé le personnage que vous allez découvrir aujourd’hui spécialement pour le défi, mais de tous les êtres qui peuplent mon esprit d’auteur, il fait partie de ceux que j’aimerais le moins croiser, alors je me suis dit que c’était l’occasion de vous le présenter.
Dylan Maggioli est l’un des personnages de mon roman de fantaisie urbaine Les Ombres de Rome. Ce vampyre âgé de plus de huit cent ans a le don pour plonger Phil Muti, le héros du roman, dans un état de malaise vertigineux.
Phil n’est cependant pas le seul chez qui il produit cet effet. Découvrez pourquoi dans ce court récit qui lui est dédié !
Bonne lecture 🧛
💀 TW : Attention, ce texte contient des scènes de violence explicites.

Portrait de Dylan Maggioli par annicksart.com
La Passion du sang
Temps de lecture estimé : 39 minutes
3 octobre 2019
I’m trapped and my back’s up against the wall
Je suis piégé et dos au mur
I see no solution or exit out
Je ne vois pas de solution ou d’issue
I’m grinding it out, no one can see
Je fais tous les efforts, personne ne le voit
The pressure’s growing exponentially
La pression augmente de façon exponentiellePressure, Muse
Le président de la Chambre des députés sonna la fin de la séance à 22 heures 30. Un brouhaha soulagé monta aussitôt des bancs comme si ceux qui s’y trouvaient assis n’avaient attendu que ce signal pour pouvoir reprendre vie.
Le député Matthias Corvi s’empressa de rassembler ses effets, gratifia son voisin d’une tape familière amicale sur l’épaule pour le saluer, signifiant son manque d’entrain à jouer les prolongations en restant échanger avec les confrères et son empressement à rejoindre la chaleur douillette de son foyer, puis sortit en hâte de la Chambre avant que quelqu’un n’ait le temps de l’arrêter. Il traversa le palais Montecitorio désert, puis émergea du Parlement dans la nuit.
Une averse enveloppait Rome dans son haleine humide. Il ne restait guère plus que quelques touristes noctambules en quête des plus beaux clichés à réaliser de la Ville Éternelle de nuit pour battre les pavés glissants de la Piazza di Monte Citorio.
Matthias Corvi avisa la voiture de fonction qui l’attendait, garée à sa place habituelle le long du trottoir. Il figurait parmi les derniers députés à jouir de cette prérogative, protégé des coupes budgétaires de plus en plus féroces par son âge et sa santé défaillante.
Il prit son élan et s’élança sous les trombes d’eau aussi vite que ses jambes de soixante-dix sept ans le lui permettaient. Quelques secondes suffirent pour que la pluie le trempe entièrement.
Il ouvrit la portière arrière de la Mercedes Classe S et s’y engouffra avec une telle précipitation qu’il s’avachit à moitié sur la banquette.
Enfin au sec !
Il se redressa en savourant le moelleux de son assise, conscient du privilège que représentait le fait de pouvoir regagner son domicile dans un tel confort quand ses collègues allaient devoir braver la nuit, la pluie et la chute de la température.
Il vit que son chauffeur du jour l’observait dans le rétroviseur. Il lui donna l’adresse de son appartement et étudia l’homme à son tour pendant qu’il paramétrait son GPS. Ses cheveux noirs rassemblés en chignon et son long bouc tressé dénotaient avec le style strict que le député connaissait à ses collègues, mais demeuraient moins troublants que la perfection de sa peau lisse et rose éclatante de vie comme une pivoine au printemps. Les hommes n’avaient jamais intéressé Matthias Corvi, mais il se surprit à penser que celui-ci était beau. Il ressemblait à quelque acteur de séries américaines que ses petites filles adulaient à la télévision.
La Mercedes démarra et glissa le long de la Piazza di Monte Citorio avant de tourner dans l’une des rues perpendiculaires. Les échanges houleux qu’il laissait derrière lui dans l’hémicycle de la Chambre des députés bourdonnaient dans sa tête comme un essaim de guêpes. Cette fichue séance aurait dû se terminer bien plus tôt si l’opposition n’avait pas posé mille et une questions. Et sans intérêt en plus. Matthias avait hâte de retrouver Tina et de découvrir le petit plat qu’elle avait mijoté pour le dîner. Ensuite, il lui faudrait aller dormir directement car la session parlementaire reprendrait tôt le lendemain matin.
La réforme constitutionnelle qui s’annonçait amorçait une nouvelle ère politique dont Matthias ignorait ce qu’il fallait penser. En réduisant son nombre de députés de 630 à 400 et son nombre de sénateurs de 315 à 200, la République italienne prévoyait d’économiser cent millions d’euros par an. Il fallait simplement espérer que l’argent ainsi gagné irait bien dans les caisses de la ville et non dans quelque poche malhonnête et que cette décision incarnerait le signal précurseur d’un grand mouvement de moralisation de la vie politique.
Rome avait bien changé en cinquante ans. À cause de l’incurie des pouvoirs publics, les problèmes et dysfonctionnement graves s’étaient accumulés, si bien que nombre de touristes quittaient la Ville Éternelle déçus. Entre les transports en commun vétustes, bondés et toujours en retard, les trous dans la chaussée, les espaces verts desséchés et les poubelles éventrées vomissant leur mare de détritus jusque dans le cœur historique, Rome donnait un sentiment de laisser-aller et de désordre généralisé auquel s’ajoutait le bruit et le danger d’une circulation chaotique.
La République éprouvait le besoin vital de connaître des bouleversements, mais cela n’arrangeait pas vraiment les affaires de Matthias. En acceptant la réforme, députés et sénateurs signeraient leur propre condamnation à mort politique. Rien que dans son propre parti, sorti grand vainqueur du scrutin de 2018 avec près de 33 % des voix, seul un élu sur quatre pourrait retrouver un siège dans le futur Parlement.
Même s’il rechignait à considérer l’hypothèse dans laquelle il ferait partie des élus que ce texte évincerait, la sagesse soufflait à Matthias de réfléchir dès à présent à une alternative à sa carrière de député. Peut-être devrait-il essayer d’intégrer les groupes de travail ministériels œuvrant pour l’action sociale ou la santé…
« Pourquoi avons nous pris cette route ? » demanda-t-il au chauffeur en remarquant soudain qu’ils circulaient Via delle Colonnelle, soit à l’opposé de l’endroit où il habitait.
Absorbé par ses pensées, il s’était laissé porter par la Mercedes sans prêter attention au chemin qu’elle empruntait. Évidemment, les chauffeurs qui le raccompagnaient chez lui modifiaient parfois leur itinéraire selon l’état du trafic. Ils pouvaient exécuter de plus ou moins longs détours pour éviter des difficultés de circulation signalées par l’application GPS sur leur smartphone, mais ils ne décrivaient jamais de si grande boucle.
Le chauffeur le regarda à travers le rétroviseur et répondit calmement :
« Parce que nous allons sortir de Rome.
– Pourquoi ? Que se passe-t-il ? » s’enquit le député.
Comme Rome détenait le titre de ville la plus embouteillée d’Europe juste derrière Bucarest et Varsovie, il s’attendait à ce que le chauffeur lui réponde qu’un encombrement des voiries suite à un évènement inhabituel en ville, comme un concert, les empêchait de prendre le trajet le plus court pour arriver chez lui. Au lieu de quoi, l’homme soutint son regard dans le rétroviseur et dit :
« J’ai un message à vous transmettre de la part d’un ami que nous avons en commun.
– Pardon ? »
Le chauffeur le toisa encore de longues secondes, puis reporta son attention sur la route. La façon ironique dont il avait prononcé le mot ami fit comprendre au député qu’il ne s’agissait pas de quelqu’un qui lui voulait du bien.
Les façades ocres des commerces et des habitations illuminées par les réverbères défilaient de chaque côté de la voie de circulation comme les maquettes en carton d’un décor de cinéma. La rumeur de la circulation et le martèlement de la pluie sur la carrosserie de la Mercedes paraissaient tout à coup lointains et artificiels. Les romains et les touristes qui fumaient et discutaient sous les auvents des bars et des clubs semblaient autant de figurants du film dans lequel il venait d’être projeté brusquement, sans même savoir qu’il était censé y tenir un rôle.
« Excusez-moi, je n’ai pas entendu ce que vous avez dit, dit Matthias dont la gorge s’était soudainement asséchée.
La Mercedes s’écarta du trottoir pour éviter un groupe de fêtards qui y chahutaient et menaçaient de tomber sur la route. L’attention du chauffeur demeurait rivée devant lui.
– De quel ami parlez-vous ? Insista Matthias.
Le chauffeur lui jeta un autre regard silencieux et le gel de la peur se répandit dans ses organes. La figure de cet homme qu’il avait jugée si belle un peu plus tôt lui apparaissait désormais plus inquiétante que celle d’un fou.
– Vous êtes en train de m’enlever ?
Ces quelques mots achevèrent de le faire basculer dans une dimension surréelle. Il se sentait flotter hors du monde, coupé de son propre corps.
– On peut dire ça, dit l’homme sans lui accorder un autre regard.
– Qui êtes-vous ? »
Son cœur redoublait ses battements dans sa poitrine. Les noms de Giacomo Matteotti et d’Aldo Moro, deux autres députés dont les assassinats en 1924 et 1978 avaient marqué leur époque et l’histoire politique italienne, lui sautèrent à la mémoire. Qui parmi ses propres opposants se révélerait capable d’aller jusqu’à l’intimidation voire l’élimination physique pour le faire taire ?
Il s’imagina tué d’une balle en pleine tête ou jeter vivant dans la Méditerranée, les pieds coulés dans le ciment. Certaines bandes criminelles romaines s’étaient faites une spécialité de ces méthodes d’exécution.
Son regard blanc de terreur croisa à nouveau celui du chauffeur dans le rétroviseur.
« Ricardo n’est pas très content, Matthias. Il n’est pas content du tout. »
Matthias blêmit.
Ricardo Uzzeni. Les Lepides.
Il savait qu’ils ne le lâcheraient pas, mais il ne s’attendait pas à ce qu’ils reviennent lui demander des comptes aussi vite. La situation qui se profilait s’avérait bien pire que tous les scénarios que son esprit affolé pouvait élaborer.
« Ricardo doit me laisser encore un peu de temps. »
Il débita ces mots à toute vitesse, la voix colorée par le timbre écarlate de la peur.
« Je crois qu’il estime avoir suffisamment attendu.
– Mais je ne peux pas soumettre un tel sujet au Parlement maintenant, alors que nous sommes en pleine réforme constitutionnelle, que le pays est toujours submergé par la crise migratoire et au bord de l’infarctus économique. Personne ne m’écoutera.
– Tu ne donnes pas l’impression d’y mettre beaucoup de bonne volonté.
– Je ne suis plus un jeune loup en politique, je sais juger quand il est préférable d’attendre et quand la situation se prête à lancer l’offensive.
– Je peux te garantir que Ricardo maîtrise cette science depuis plus longtemps que toi, et lui estime que tu aurais tout à fait pu agir dès qu’il te l’a demandé. »
Matthias dirigea son regard vers la poignée de sa portière. Si son chauffeur avait oublié d’actionner le verrouillage centralisé et qu’elle s’ouvrait, il pourrait sauter hors du véhicule et courir se réfugier dans n’importe quel commerce ouvert. Mais ce futile espoir mourut en lui à peine né.
Les Lepides vous retrouvaient toujours. Il n’existait aucun endroit où vous cacher. Pas à Rome en tout cas. Matthias était bien placé pour le savoir.
En outre, la fluidité du trafic permettait à la Mercedes de rouler à la vitesse maximale autorisée, soit cinquante kilomètres-heure, et il craignait de se rompre le cou en sautant du véhicule ou d’être percuté par ceux qui le suivaient. Tenter une négociation semblait encore la seule option réalisable.
« C’est vrai que je tarde à m’acquitter de la mission que Ricardo m’a confiée, mais il ne s’agit pas de mauvaise volonté de ma part, dit-il en cherchant le regard de l’homme dans le rétroviseur. Je lui ai déjà rendu de nombreux services ! S’il me laissait un peu plus de temps, je disposerai de toute la latitude nécessaire pour porter le projet devant le Parlement et le faire voter.
– Tu n’as pas plus de temps, Matthias, et tu le sais très bien. La réforme constitutionnelle sera votée la semaine prochaine. Elle pourrait te coûter ta place et t’empêcher de mener à bien ta mission. Alors qu’est-ce que tu attends, à quoi tu joues ?
Le regard implacable de l’homme lui vrilla la poitrine comme une rafale de balles.
– Où m’emmenez-vous ? Demanda-t-il d’une voix blanche.
Il ne voulait pas aller chez les Lepides. L’idée d’être captif de leur villa maudite et de revoir Ricardo le terrifiait encore plus que d’être prisonnier de cette voiture, à la merci d’un inconnu.
– Ne t’en fais pas, Ricardo est trop occupé pour venir te voir lui-même, dit l’homme avec un sourire en biais, comme s’il avait lu dans ses pensées.
– Vous êtes comme lui, n’est-ce pas ?
– J’ai peur de ne pas bien comprendre le sens de ta question. Mais si tu me demandes si je suis un vampyre, voici ta réponse. »
Son sourire s’élargit, dévoilant deux rangées de dents anormalement pointues alors que ses yeux capturaient la lumière des phares d’une voiture qui arrivait sur la voie de circulation voisine. Matthias resta saisi d’effroi devant le spectacle de ses pupilles animées de reflets luminescents comme celles des chats dans la nuit. La terreur gela le sang dans ses veines et épingla son cœur dans sa poitrine. Durant une poignée de secondes, il faillit céder à la pulsion d’ouvrir sa fenêtre pour appeler au secours.
« Où m’emmenez-vous ? » Répéta-t-il.
– Quelque part où nous pourrons discuter sans être dérangés.
– Où m’emmenez-vous ? »
Matthias scrutait le profil du chauffeur. Celui-ci resta muré dans le silence et l’angoisse lui contracta la gorge. Son cœur tressautait dans sa poitrine comme un papillon qu’un lepidoptérophile sadique clouerait vivant sur une planche. Le ronronnement du moteur de la Mercedes qui l’emmenait vers un sort incertain lui flanquait la nausée.
Le député se vit rossé, humilié puis jeté dans un trou puant et sombre dans lequel les vampyres le laisseraient croupir et agoniser. Les égouts de la capitale recrachaient tant de cadavres dont les circonstances de la mort n’étaient jamais élucidées qu’il soupçonnait les Lepides d’en être responsables.
Matthias se rappelait parfaitement la nuit où Ricardo avait tué un vieil SDF devant lui parce que l’homme avait eu le malheur de leur quémander quelques pièces, avant de pousser son corps dans le Tibre.
Quel tombeau plus discret que le fleuve et le cloaque sordide des tunnels qui couraient sous la ville pour engloutir les preuves de leurs forfaits ?
Matthias sentait encore les remugles de vase soulevés par la chute du corps qui avaient accompagné la suite de son long tête à tête indésiré avec le vampyre. Celui-ci menaçait déjà de le faire passer de vie à trépas s’il n’exécutait pas ses volontés. A l’époque, Ricardo exigeait de lui qu’il convainque la municipalité d’attribuer un appel d’offres à un promoteur immobilier dont les relations lui semblaient plus que douteuses. Rome avait durci sa lutte contre la corruption et le trafic d’influence et Matthias, en plus de risquer carrière et réputation, doutait de parvenir à exécuter l’ordre du vampyre. Il s’était demandé quand son corps rejoindrait celui du vieillard dans les eaux fongueuses du fleuve. Il avait alors quarante-et-un an et la perspective d’une mort prématurée l’effrayait. Mais à soixante-dix-sept ans, il se sentait toujours trop jeune pour mourir.
Sa peur explosa tout à coup.
« OÙ M’EMMENEZ-VOUS ? »
Oubliant toute prudence, il tendit le bras et referma ses doigts à l’aspect fragile de vieillard sur l’épaule de son ravisseur. La peur dotait sa poigne d’une vigueur extraordinaire.
L’homme – car il avait fichtrement l’air d’un homme ce vampyre avec sa jolie peau rose et son parfum de bergamote et de vanille – lui accorda un regard ennuyé par dessus son épaule et prononça un mot qu’il ne comprit pas.
Un bruit s’éleva dans leur dos, en provenance du coffre. Matthias tourna la tête juste à temps pour en voir émerger un second homme.
Le député, entre saisissement, frousse et atterrement se demanda par quel miracle un type de ce gabarit avait pu tenir là-derrière pendant tout ce temps, et sans qu’il le remarque.
L’homme, dont la carrure puissante n’avait rien à envier à celle de Leonardo Ghiraldini, le joueur de rugby, n’eut qu’à tendre les bras pour lui attraper la gorge des deux mains.
« Ssalut, Matthiass, souffla-t-il à son oreille et le député eut l’impression d’entendre un serpent doué de parole dans sa façon de siffler les S. J’esssspère que tu es bien installé, parce qu’on va discuter un moment. On m’a demandé de te faire comprendre pourquoi c’est important que tu te sortes les doigts du cul. »
Les mains sur sa gorge lui comprimaient la trachée et Matthias fut pris d’une toux d’expectoration. Une violente douleur irradia vers sa nuque et sa mâchoire alors que ses propres mains tentaient de défaire l’étau qui broyait sa gorge.
« Doucement, Dylan, protesta le chauffeur en jetant un regard dans le rétroviseur.
– Alors, Matthias, pourquoi t’as pas encore fait ce que Ricardo t’a demandé ? » demanda le susnommé sans prêter attention à son complice.
Il lui serrait le cou avec tant de force que Matthias éprouvait la sensation que sa glotte, sa trachée et sa pomme d’Adam fusionnaient. La position de son agresseur derrière lui ne lui permettait pas de le voir, mais ce qu’il entrevoyait de sa carrure suffisait à lui faire comprendre qu’il ne pourrait jamais l’emporter contre lui.
« Desserre un peu ta prise, Dylan, dit le chauffeur, tu es en train de l’étouffer.
– T’occupe, Alan, regarde plutôt la route. Alors, Matthiasss, j’attends… »
Il essaya de parler, mais n’émit que des borborygmes étouffés. Les images du chauffeur et des sièges devant lui vrillaient et disparaissaient par intermittence en fondu noir, comme s’il clignait des yeux très vite alors que la panique les maintenait grands ouverts. L’air ne parvenait plus à gagner ses poumons et ceux-ci le brûlaient comme s’ils étaient devenus le lit d’un lac de lave. Sa poitrine se vidait de son oxygène.
Le député n’avait jamais autant regretté l’opacité des vitres des véhicules du Parlement. Dehors, des romains insouciants déambulaient sans s’apercevoir qu’on assassinait un homme dans la voiture qui passait à côté d’eux.
Le dénommé Dylan finit par comprendre qu’il exerçait une pression trop forte. Il relâcha légèrement l’étreinte de ses mains et Matthias put enfin respirer.
Sa première inspiration s’accompagna d’un irrépressible frisson. L’habitacle de la voiture s’était empli d’une odeur de cuir, de basilic et de cédrat à laquelle un autre effluve se superposait. Celui d’une nuit noire dans laquelle vibraient des fragrances de lavande, de cèdre, de vétiver….
Et de sang.
En baissant les yeux, Matthias vit ses mains ridées constellées de tâches brunes crispées sur les larges mains recouvertes de duvet noir de l’homme. La pâleur de la peau qu’il apercevait lui fit augurer le pire et il tourna très légèrement la tête pour apercevoir son agresseur dans la vitre.
L’homme se tenait penché vers lui et Matthias ne distinguait pas grand-chose de son visage. Il discerna néanmoins une figure carrée ombragée par une barbe de trois jours, celle-là même qui lui râpait la joue quand le type lui parlait à l’oreille.
Son propre reflet, celui d’un vénérable vieillard efflanqué avec des lunettes en ovale sur le nez et un visage creusé par les années, mais dont les cheveux argentés avaient su conserver leur mise impeccable, tranchait avec la carrure massive du type derrière lui. Sa présence dans son dos l’oppressait comme s’il se trouvait piégé dans une ravine dont des pans de roche pouvaient se décrocher à tout moment.
Ce vampyre-ci ne présentait pas la jolie peau rose de son copain, mais un teint blafard comme s’il n’avait pas vu le soleil depuis dix ans. C’était sans doute plus que largement le cas, mais Matthias n’avait pas besoin de cet indice pour deviner qu’il faisait également parti de la race des monstres qui dominait Rome.
Se sentant sans doute observé, « l’homme » tourna la tête vers leurs deux reflets et leurs regards se croisèrent dans la vitre. Celui du dénommé Dylan étincela de malveillance.
« Cherche pas, t’as un beau brushing, mais je suis quand même beaucoup plus beau gosse que toi, dit-il en lui adressant un sourire railleur. Ça fait combien de temps que Ricardo t’a demandé d’agir ? Quatre mois ?
– Trois, dit Matthias d’une voix enrouée.
L’étreinte des mains du type sur sa gorge restait trop intense.
– Et en trois mois, tu veux nous faire croire que t’as pas eu le temps de faire ce qu’il t’a demandé ?
– J’attendais que le contexte soit plus propice avant de m’adresser au Parlement. Personne n’a envie d’entendre parler de prostitution maintenant, alors que le pays est en train de s’écrouler économiquement, politiquement et socialement. »
Légaliser la prostitution en Italie, l’ériger en profession réglementée ordinaire sur laquelle l’État prélèverait ses impôts et ses taxes comme sur n’importe quelle autre activité, voilà la proposition que Ricardo Uzzeni exigeait que Matthias soumette au Parlement. Il avait accepté sous la contrainte, comme toujours, mais cette perspective l’écœurait autant qu’elle le révoltait.
Du reste, il ignorait comment présenter l’idée à ses confrères qui ne comprendraient pas qu’un homme aussi pieux et respectable que lui défende pareille hérésie. Surtout en cette période de bouleversements politiques. Matthias aurait préféré que Ricardo confie cette mission à un autre de ses pions, car il savait que l’influence des Lepides gangrenait Rome de ses bouges aux plus hautes instances de l’État. Députés, sénateurs, membres du Gouvernement, flics… Matthias ignorait l’identité des individus qui agissaient sous l’emprise des vampyres, mais il savait que plusieurs d’entre eux se trouvaient comme lui impliqués dans leurs affaires.
Dieu miséricordieux, que Matthias détestait les Lepides et leur race maudite après toute une vie passée sous leur égide, à les observer tirer les ficelles dans l’ombre, à subir leurs visites surprises, leurs lubies, leurs pressions. Il avait espéré que Ricardo cesserait de le solliciter lorsqu’il prendrait de l’âge en récompense de tous les services rendus, mais le vampyre ne le libérait pas de son asservissement. Il continuait à lui confier toutes sortes de tâches plus ou moins ardues sans lui témoigner la moindre reconnaissance. Il ne s’était jamais rebellé, car il tenait à la vie et à celle de ses proches, mais les années avaient augmenté son ressentiment et cette fois, Matthias avait volontairement traîné en longueur sur l’exécution de l’ordre donné. D’une part parce qu’il ne désirait pas être à l’initiative d’une proposition de loi qui le répugnait autant que celle-là, d’autre part parce qu’il serait plus horrible encore qu’il réussisse à la faire voter par le Parlement.
Cependant, à présent qu’il se trouvait à bord d’une voiture conduite par un vampyre pendant qu’un autre l’étranglait, Matthias perdait toute velléité de résistance et se repentait in petto de cette incartade.
Comme le silence dans le véhicule s’éternisait, il ajouta, non sans éprouver quelques difficultés à articuler à cause des mains sur sa gorge et de la peur qui serrait ses cordes vocales :
« Je sais ce que je fais. J’agirai en temps voulu.
Quelques secondes supplémentaires s’écoulèrent avant que Dylan réponde :
–J’ai l’impression que le ssujet te dérange, Matthiassss.
– Il dérangerait n’importe quel honnête citoyen, mais ce n’est pas pour cette raison que je repousse sa présentation. J’estime que ce n’est simplement pas le bon moment.
– Sauf que comme Alan l’a dit, bientôt, il se pourrait qu’il n’y ait plus de bon moment du tout pour toi, Matthiasss. Tu ne comptes pas quitter tes fonctions ssans avoir ssatissfait Ricardo, quand même…
– Le sujet est trop délicat pour que je me lance au petit bonheur la chance. Je dois d’abord préparer un peu le terrain.
– On t’a connu plus zélé. Tu faiblis, Matthiasss. Au fond, je ne crois pas que Ricardo t’en veuille vraiment, c’est l’âge. Mais à mon avis, il serait temps de te remplacer par une personne plus jeune et plus enthousiaste. »
Cette voix traînante et sa façon de siffler les S possédaient quelque chose de glaçant. Des Lepides, Matthias n’avait rencontré jusqu’à présent que Ricardo et son imposant garde du corps, Leon, un colosse taciturne de près de deux mètres. S’il était soulagé de ne pas avoir affaire à eux directement, le député les regrettait presque maintenant qu’il se trouvait en présence de ce Dylan. Sa proximité physique lui donnait l’impression d’être à la merci d’un animal. Un animal froid, visqueux et mortel.
Matthias toucha discrètement la croix qu’il portait en pendentif sous son costume et implora l’aide de Dieu.
Il ne brandit pas le crucifix au visage de Dylan, car il le savait par expérience inefficace pour en avoir collé un sur le front de Ricardo quatre décennies plus tôt. Son geste avait été suivi de quelques secondes de silence tendu et gênant quand Matthias avait vu l’expression du vampyre passer de la stupéfaction à l’hilarité juste avant qu’une force invisible ne s’empare de lui et ne le jette à terre.
Étalé sur le dos, l’esprit hagard et les yeux ouverts, sous le choc, il avait senti la petite croix de bois qu’il tenait dans sa main droite se morceler et éclater brusquement entre ses doigts. Des centaines d’échardes lui avaient transpercé la peau et son sang s’était répandu sur le corps disloqué du Christ.
Matthias se rappelait de ce jour comme de celui où il avait perdu la foi, non pas en Dieu, mais en Sa prétendue bonté.
S’Il aimait vraiment Ses créatures, comment admettre que Yahveh puisse laisser des ignominies comme Ricardo Uzzeni circuler sur Terre et se nourrir du sang des Hommes ? Et pire que ça, comment avait-Il pu laisser la Cité Sainte tomber entre leurs mains ?
La seule explication à la tolérance qu’Il manifestait envers les vampyres supposait qu’Il les ait Lui-même créés. Peut-être incarnaient-ils l’un des fléaux qu’Il envoyait aux Hommes pour les punir de leur orgueil et du mépris avec lequel ils traitaient le reste du Vivant. En tout cas, c’était ce que Matthias avait choisi de croire pour éviter de devenir fou.
Dylan reprit :
« Sssi tu perds ta place à cause de la réforme, tu ne pourras plus faire ce que Ricardo t’a demandé, Matthiasss. Tu dois soumettre l’idée de Ricardo au Parlement dès demain. »
Le vampyre frottait doucement son visage contre le sien en parlant, et sa barbe lui râpait la joue. Ce contact le révulsait, mais il ne pouvait s’y soustraire. Les grosses mains de Dylan continuaient à lui serrer la gorge comme s’il était un poulet auquel il voulait tordre le cou.
« Non, c’est impossible, répondit-il en essayant d’ignorer les battements erratiques de son cœur, seuls les sujets inscrits à l’ordre du jour peuvent être évoqués en séance.
– Alors arrange-toi pour l’inscrire au programme des prochaines.
– Cela me paraît délic…
Les mots s’étranglèrent dans sa gorge avec son souffle alors que les doigts du type se resserraient comme des serres.
Le sifflement de serpent s’éleva dans son dos.
– Il va falloir y mettre un peu du tien, Matthiasss, ou tu porteras la marque de mes mains dans la chair de ton vieux cou jusqu’au jour de ta mort… Et il semble plus proche que ce que tu essspérais…
– Vous a…vez dé…jà… Le Pandore, balbutia le député suffocant. Je ne… comp…rends pas. Que voul…ez-vo…us d’autr…e ? »
Sous la couverture d’un établissement de strip-tease chic dans le quartier moderne de Rome, Le Pandore cachait un lieu de perversion exploité par les Lepides. Matthias n’y avait jamais mis les pieds malgré les nombreuses invitations de Ricardo, mais il savait qu’il s’y échangeait des prestations sexuelles dont certains élus de la République profitaient.
« Le Pandore ne représente qu’une goutte d’eau dans l’océan et il joue sur la brèche en devant quand même cacher son activité, dit le dénommé Dylan. Ce qu’il faut c’est que nos gars et nos filles puissent travailler en ayant l’esprit vraiment tranquille.
– Mais per…so…nn…e ne vi…
L’étreinte sur sa gorge se relâcha quelque peu.
– Personne ne vient les ennuyer au Pandore, reprit Matthias en soufflant à travers sa trachée douloureuse. Les travailleurs du sexe dans la rue ne sont pas les vôtres. Qu’est-ce que cela vous apporterait de plus ?
– Tu te trompes, il y a longtemps que nous avons pris le contrôle de la rue, mais à cause de vos règles à la con, l’activité n’est pas aussi rentable qu’elle le devrait. Et avec Ricardo, on se disait que c’était quand même vachement con. Alors qu’il suffirait d’une petite loi pour changer ça…
– Nous parlons de prostitution, pas du métier de plombier ou de boulanger.
– Vous êtes dans une crise économique, laissa tomber Dylan d’un ton suffisant. Tu sais combien de sous ça brasse, le cul ? Si l’Italie légalise la prostitution, elle pourra la réglementer et la taxer en rouvrant les maisons closes. Cela fera rentrer de l’argent dans ses caisses et ça rendra service à plein de monde. Les putes seront mieux surveillées, et donc protégées, et elles arrêteront de faire le tapin n’importe où. Tu t’es jamais dit que ça faisssait quand même un peu désordre pour les touristes toutes ces putains partout ?
– Vous avez déjà obtenu la création d’un quartier rouge. »
L’ancien maire de Rome avait décidé que la prostitution serait tolérée dans quelques rues d’un quartier d’affaires du sud historique, entre ministères et gratte-ciels.
La surprise passée, Matthias avait aussitôt soupçonné l’homme ou l’un de ses proches conseillers d’être sous l’influence des Lepides. Une telle annonce dans une ville aussi pieuse que Rome ne pouvait que susciter des résistances et se transformer rapidement en suicide politique.
« Sauf que ce quartier rouge n’est toujours pas en place quatre ans plus tard à cause de tous les bigots que compte cette foutue ville, dit Dylan, méprisant. Il faut frapper plus fort. Cette fois l’idée doit venir du Parlement, et il faut que ce soit un type comme toi qui la lance. Si elle vient d’un catholique convaincu, les punaises de sacristie se diront qu’il existe vraiment de bonnes raisons de légaliser la prostitution.
– Vous voulez que tous les croyants de cette ville se révoltent ? Protesta Matthias, scandalisé et désespéré. Tout ce que je vais gagner, c’est une mise au ban ! Rome abrite tout de même le Vatican ! »
Matthias se demandait souvent s’il existait une seule autre ville au monde où Dieu et le Diable coexistaient de façon aussi flamboyante qu’à Rome.
Plusieurs sifflements échappèrent au vampyre. Il gloussait.
« Et alors ? Qu’est-ce qu’on s’en tape, des curaillons. Faut pas croire, mais ils sont pas les derniers à profiter là-bas. T’a pas entendu le dernier scandale ? Tous ces prêtres qui s’envoient des religieuses ? Au moins les putes, elles, elles sont consentantes et on les paye. Tu me diras, peut-être que les bonnes sœurs aussi, mais qu’elles s’en vantent pas… »
Matthias s’étrangla d’indignation sans parvenir à déterminer si ce personnage rustre le provoquait ou s’il s’agissait d’une démonstration ordinaire de sa grossièreté.
Il choisit de ne pas relever pour plaider sa cause.
« J’ai toujours fait tout ce que Ricardo m’a demandé, articula-t-il d’une voix éraillée, rompue par la pression continue des mains sur sa gorge.
– La preuve que non, ou avec Alan on aurait jamais eu le plaisiirrr de te rencontrer », siffla Dylan.
Quelque chose d’humide pénétra dans son oreille et Matthias poussa une exclamation de surprise répugnée en cherchant instinctivement à se soustraire à ce contact désagréable. Mais les mains autour de sa gorge entravaient les mouvements de sa tête, alors il coula son regard de côté pour tenter d’identifier ce qui le touchait et s’aperçut qu’il s’agissait de la langue du vampyre.
« Bas les pattes, paltoquet !
– Paltoquet ? répéta Dylan d’une voix railleuse. T’entends, Alan ? Ses insultes sont aussi périmées que celles de Ricardo. C’est quoi, ça, un paltoquet ?
Déchiré entre l’exaspération et la terreur que lui inspirait le personnage, Matthias resta coi.
– Il me semble que c’est un homme qui fait preuve de manières grossières, répondit le chauffeur à sa place.
– Tu me trouves grossier, Matthias ? »
Une nouvelle caresse humide couvrit sa joue de salive. Matthias se força à observer une immobilité parfaite, mais le sang battait à ses oreilles, bouillonnant de sa fureur et de sa peur.
Les vibrations de la voiture lui flanquaient des nausées. À moins que ce ne soit la proximité du monstre qui lui léchait le visage du menton au tempe.
Il allait vomir.
« S’il vous plaît, expliquez à Ricardo que je ne peux rien faire pour vous cette fois, dit-il en essayant de capter le regard du chauffeur dans le rétroviseur, car il semblait plus sensé que son malfaisant compagnon. Sa demande est irréalisable. Personne ne voudra voter une mesure si impopulaire, encore moins dans ce contexte. Je pense qu’il faut vous contenter de la création d’un quartier rouge pour le moment. Cette mesure ne sera pas bloquée éternellement.
– C’est pas suffisant, mon gars, dit Dylan avec humeur. C’est pas suffisant pour sauver cette ville et rattraper les conneries que les connards de politiciens comme toi enchaînent depuis des années en s’en mettant plein les fouilles au passage.
– Vous qui vivez grâce aux richesses de Rome depuis des siècles, vous avez encore le toupet de nous accuser de la ruiner, alors que c’est vous qui organisez sa faillite ! Répliqua Matthias avec colère. Si les diverses bandes criminelles qui sévissent dans la capitale sont aussi bien établies et que notre système politique et judiciaire figure parmi les plus corrompus d’Europe, je sais que c’est à vous qu’on le doit !
– Tu te trompes, ce n’est pas nous qui ruinons Rome, dit le chauffeur.
– Sans nous, ça ferait belle lurette qu’elle ne serait plus qu’un champ de ruines, ta Rome, ajouta Dylan d’une voix gouailleuse. On touche pas au trésor public, on prélève le blé directement aux gangsters et aux corrompus qui le volent, et on les dissuade de massacrer n’importe qui n’importe comment pour préserver un semblant d’ordre. Tu vois, on est des justiciers un peu.
– Nous laissons les humains se débrouiller la plupart du temps, compléta le chauffeur. Parfois à raison, parfois à tort…
– En ce moment c’est plutôt à tort vu la belle bande de branquignoles qu’on a avec toi et les autres, ajouta Dylan. Sssi les humains sont incapables de régler les problèmes de cette ville, la Famille va devoir prendre la main pour rétablir la situation, et crois-moi, vous n’allez pas aimer ça. On vous laisse encore une chance, à toi et aux autres petits merdeux à nos bottes, mais ssssi vous continuez à vous montrer aussi utiles que des rats crevés dans un appartement, on s’emmêlera pour de bon. Tu sssais parfaitement que Ricardo a le pouvoir de faire sssauter quelques têtes au Parlement pour en mettre de nouvelles plus efficaces. Et c’est pas qu’une image.
Il ponctua sa dernière phrase d’un gloussement.
– Mais dites-moi au moins qui sont les autres parlementaires soumis à votre influence, plaida Matthias, désespéré en voyant que les vampyres ne cédaient pas et que la Mercedes poursuivait sa route dans la nuit vers une destination dont il ignorait toujours tout. Ainsi j’aurais des alliés sur lesquels m’appuyer.
Dylan siffla :
– Impossible. Tu sais bien que nous ne pouvons nous révéler qu’à une poignée d’humains selon les lois des Peuples Invisibles, et il serait trop dangereux de vous mettre dans le secret de l’identité des autres.
– La proposition de loi que vous me demandez de défendre sera mal accueillie, le pays possède quantité d’autres priorités, j’aurais plus de chance d’être écouté si nous sommes plusieurs à la porter, insista Matthias. Sinon, tout ce que je vais gagner c’est l’assurance d’être éjecté du Parlement après la réforme.
Il essayait de ne pas prêter attention aux traits de douleurs répétés qui partaient de son cœur et irradiaient dans son torse et son bras gauche comme des arcs électriques, mais son souffle se raccourcissait.
– Mieux vaut risquer le coup et perdre ton siège que de foutre Ricardo en pétard après toi. T’as déjà vu Ricardo énervé ? Ouais, c’est pas beau à voir hein… Et c’était pas après toi qu’il en avait. Imagine maintenant que tu sois la cible de cette colère… Il pourrait ordonner de te faire traîner dans tout Rome par une voiture, attaché par les couilles. Ou alors il te plongera dans de l’huile qu’il fera lentement porter à ébullition… Ccc’est comme çççaa que tu as envie de finir, Matthiiaaasss ? »
Matthias remarqua que la diction sifflante du vampyre devenait plus prononcée chaque fois qu’il adoptait une attitude ouvertement hostile ou qu’il proférait des paroles qui semblaient attiser son excitation, comme maintenant. La fébrilité perverse de Dylan alourdissait l’atmosphère de l’habitacle de la Mercedes et raidissait ses doigts autour de sa gorge.
« Ce n’est pas ma carrière qui m’inquiète. Je souhaite simplement mettre toutes les chances de notre côté pour que le Parlement accepte la proposition.
– Ne mensss paaas », siffla le vampyre.
Un bruit insolite s’éleva dans la voiture. Il ressemblait à celui d’une crécelle, en nettement plus aigu et agressif, mais Matthias ne voyait pas d’où il pouvait provenir.
Soudain, le vampyre lâcha sa gorge. Surpris, Matthias aspira avec soulagement l’air qui affluait de nouveau normalement dans ses poumons, avant de pousser une exclamation de terreur. L’homme enjambait le dossier qui séparait le coffre de la banquette pour passer de son côté.
Instinctivement, Matthias se tourna pour lui faire face et se recroquevilla contre la portière pour s’en tenir aussi loin que l’étroitesse de l’espace le lui permettait.
À cause de sa carrure, le vampyre occupait largement plus que sa place sur la banquette arrière. Il lui adressa un sourire mauvais alors que Matthias, avec des yeux ronds affolés, contemplait son visage, ses sourcils épais, son front large, ses cheveux implantés haut sur son crâne, ses yeux si noirs qu’on en distinguait à peine les pupilles, son nez busqué aux narines larges et frémissantes qui lui donnaient l’air d’un loup traquant dans l’air la piste de sa proie, sa bouche aux lèvres charnues, son cou puissant…
La figure du vampyre lui évoquait quelqu’un.
Soudainement, Matthias reconnut dans l’homme qui le toisait l’un des musiciens de Ricardo Uzzeni. Il se rappelait l’avoir vu jouer de la basse dans les concerts de Naamaah dont ses petites filles regardaient en boucle les rediffusions sur YouTube et lui réclamaient sans arrêt les DVD qu’il s’obstinait à leur refuser sans que sa famille ne comprenne les causes de son aversion pour le groupe. Il était tout bonnement incapable d’offrir à Erena et Ysolyne un présent qui venait des démons. Mais elles ne pouvaient savoir que leur grand-père connaissait personnellement leurs idoles, et elles possédaient moins de chances encore de deviner leur nature maléfique.
Dylan, dont le corps était lui aussi tourné dans sa direction, s’accouda nonchalamment sur le dossier de la banquette en lui jetant un regard narquois.
« Si tu n’en avais vraiment rien à foutre de ton misérable bout de carrière restant, tu te serais empressé d’obéir à Ricardo, tu ne crois pas ?
– Non, je vous assure que ce n’est pas ça. »
Le bruit de crécelle s’éleva à nouveau. Cette fois, il lui semblait provenir de l’espace au sol du côté du vampyre entre le siège du chauffeur et la banquette arrière. Matthias lança un bref regard vers les pieds de Dylan. Il ne vit rien, pourtant le son caractéristique de l’instrument continuait à résonner dans la voiture.
Dévoré par l’angoisse, Matthias releva les yeux vers le vampyre et ses cheveux se hérissèrent sur son crâne. Quelque chose émergeait de la bouche du type, comme s’il avait dévoré un animal et que celui-ci rampait hors de ses entrailles.
Matthias ne discerna d’abord qu’un museau noir écailleux, puis la tête d’un serpent monstrueux jaillit en pulvérisant la mâchoire du vampyre dont la partie inférieure se décrocha et pendit dans le vide, suspendue à la chair distendue.
Les yeux injectés de terreur, le corps et l’esprit pétrifiés, Matthias regarda la peau du visage humain qui entourait la gueule du serpent se plisser et glisser le long de son corps sinueux comme un manteau dont le crâne aux cheveux noirs, basculé à la verticale, formait l’affreuse capuche.
Dans sa poitrine, son cœur décrivait une cavalcade frénétique et son sang, transformé en torrent impétueux à l’échelle de ses vaisseaux, battait ses tempes et ses flancs en lui causant une succession d’étourdissements.
La vision de la chair pâle du vampyre se craquelant puis tombant en lambeaux sanglants pour révéler des écailles d’une sombreur d’ébène sortit Matthias de son apathie.
Son hurlement répondit aux sifflements du serpent et il se jeta sur sa portière pour tenter de s’enfuir. Il se saisit de la poignée et l’actionna plusieurs fois convulsivement, mais elle demeura close.
Un gémissement de terreur s’échappa de ses lèvres alors qu’il se retournait pour faire à nouveau face au danger. À la place de l’autre passager, il n’y avait à présent plus qu’un gigantesque crotale mélanique enroulé sur les restes d’une peau humaine écorchée. Son corps était si long qu’une partie reposait à cheval sur le dossier de la banquette et tombait dans le coffre, mais il était également si épais que Matthias l’estima d’un coup d’œil plus large que son propre torse. La Mercedes elle-même semblait trop étroite pour contenir le reptile.
Le serpent posa sur lui ses yeux jaunes piquetés d’aniline semblables à des billes. Son énorme tête oscillait dans les cahotements de la route et sa langue bifide, noire elle aussi, dardait à intervalles réguliers.
Ce face-à-face figea le temps et dilata les secondes.
Rome qui défilait toujours derrière les vitres de la voiture, le vampyre qui conduisait, l’odeur de la moleskine des sièges, rien de tout cela ne revêtait plus aucune réalité pour Matthias. Il n’existait plus rien d’autre que lui et le monstre réunis dans un espace beaucoup trop exigu pour eux deux.
Le serpent ouvrit brusquement la gueule, déployant des crochets venimeux aussi longs que des poignards.
Pénétré d’épouvante, Matthias hurla :
« Pitié ! J’ai toujours fait tout ce que Ricardo m’a demandé ! »
Le bruit de crécelle retentit plus fort, et Matthias avisa l’extrémité de la queue du reptile qui s’agitait dans le coffre en produisant ce son caractéristique grâce à sa cascabelle, l’empilement d’anneaux de peau séchée qui ornait son extrémité.
Matthias plaça ses mains devant son visage dans une tentative dérisoire de se protéger alors que la gueule monstrueuse fondait sur lui.
Le crotale frappa plusieurs fois. Ses crochets transpercèrent son ventre, s’enfoncèrent dans la chair et les organes mous.
Matthias éprouva une souffrance si aiguë qu’il crut mourir, mais la douleur intense, lancinante, formait un cuisant cordon avec la vie. Elle se collait à sa chair comme une sangsue, déchiquetait son esprit avec la même violence que celle avec laquelle le serpent portait ses coups.
Le brouillard rouge de l’agonie tomba sur lui, occultant l’éclat jaune des lampadaires qui défilaient au-dessus de la Mercedes. À l’odeur métallique du sang qui jaillissait de ses entrailles perforées et imprégnait le velours de la banquette se superposaient des remugles écœurants d’excréments.
Un fluide humide coulait sur son visage. De la morve. Il s’était mis à pleurer sans s’en rendre compte. Sa cage thoracique martyrisée s’élevait et retombait par saccade, secouée de sanglots.
Autour de lui, la masse musculeuse du serpent rampait et s’enroulait autour de son corps. Les puissants anneaux l’enserrèrent. S’ils ne l’étouffaient pas, ils le broieraient, organes et os, comme un homme pulvériserait un insecte dans son poing. Sa peau écailleuse entamait sa chair comme un gigantesque rasoir.
La pensée de sa femme, de leur fille et de leurs petites-filles augmentèrent ses pleurs. Pourquoi n’avait-il pas eu l’intelligence de faire exactement ce qu’exigeait Ricardo ? Son idiotie lui coûtait la vie.
Mais si les Lepides avaient encore besoin de lui, pourquoi le tuer ?
Il songea à tout ce qu’il voulait encore faire sur Terre, tous les gens qu’il aurait aimé étreindre une dernière fois, et pria le Diable incarné dans la créature au-dessus de lui de lui laisser la vie sauve.
« Allons allons, ceeeee n’eeessst pas très digne d’un député, çççaa, mon petit Matthias… Cccce sont les petits garçons qui pleurent, pas les hommes mûrs. »
Matthias entrouvrit ses yeux noyés de larmes. La Bête au regard de souffre le surplombait en sifflant. Sa tête se balançait toujours légèrement dans les mouvements de la Mercedes avec l’air de se moquer de lui. Sa langue bifide démesurée, à l’échelle de son corps, ondulait contre son visage en capturant ses larmes.
« Lààà, ne pleure plus… »
Les lamentations de Matthias s’accompagnaient de spasmes et de cris déchirants. La souffrance qui prenait racine dans les trouées béantes de son ventre le possédait tout entier. Elle le rendait sourd à la douleur pourtant tout aussi violente qui lui comprimait le cœur.
Une nausée irrépressible lui brûlait l’estomac et la gorge.
« Ne pleure plus… Ccc’est fini… »
Matthias eut un dernier hoquet et soudain, il n’y eut plus de serpent géant. Plus de sensation d’être comprimé dans des anneaux meurtriers. Seulement le type à quatre pattes au-dessus de lui, étendu de tout son long sur la banquette.
Matthias resta pétrifié, ses bras tremblants toujours levés devant lui.
La douleur aussi s’était évanouie. Il ne ressentait plus rien au niveau de son ventre, mais n’osait pas jeter un œil à la blessure. Il craignait de ne pas supporter la vision de ses entrailles cascadant hors de son abdomen sur le tapis de la Mercedes où gisaient déjà ses lunettes, tombées pendant l’assaut.
Le vampyre lui sourit de toute sa perfidie et Matthias finit par porter une main angoissée vers son ventre. Il s’étonna de ne rien sentir d’autre que le textile intact de ses vêtements et la chaleur de son enveloppe humaine au lieu des lambeaux et du sang moite auxquels il s’attendait.
Même l’odeur d’égout répugnante s’était volatilisée.
Il avait probablement été victime des pouvoirs vampyriques. Il savait ces monstres capables d’affecter les sens des Hommes. À moins qu’ils ne possèdent réellement la capacité de se transformer en abomination comme celle qui le suppliciait l’instant auparavant ?
« Tu sais, çççaa ne me fait pas particulièrement plaisir de te torturer comme ççaaa, fit Dylan, mais l’éclat vicieux de ses yeux démentait ses paroles. T’es pas du tout mon style, je les préfère plus jeunes, pour les baiser en même temps. Ccc’est ce qui sss’appelle joindre le plaisir à l’agréable…
– L’utile à l’agréable, Dylan, rectifia le chauffeur.
– Mais avec toi, ccccce n’est pas vraiment possible, Matthias. Je veux pas te vexer, mais tu ne me fais pas bander, acheva Dylan en le scrutant avec une moue gouailleuse. Mais t’as des petites filles, nan ? Elles sont mignonnes ? Elles ont quel âge ?
Le cœur du député se morcela dans sa poitrine. L’idée que ce type puisse toucher ses petites le partageait entre rage et terreur pure.
– Dix-huit et vingt-et-un an, répondit-t-il, la voix fissurée de terreur alors que de nouvelles larmes quittaient ses yeux et roulaient sur son visage.
– Mmmm. C’est déjà plus appétissant. T’inquiète pas, ce soir, tu seras à peine rentré chez toi que je saurais déjà où et comment les trouver. Tu comprends ce que je suis en train de te dire, Matthias ? Je veux pas savoir si le climat politique est favorable ou pas, si demain, tu n’as pas donné la solution qu’on te propose à l’assemblée, je vais d’abord aller saluer tes petites filles, puis je viendrai te voir après. Si tu veux je te rapporterai les draps rougis pour que tu puisses garder une preuve pour leurs mariages dans quelques années. »
Le vampyre était si proche de lui qu’il sentait son souffle chaud sur son visage. Matthias aurait voulu le frapper, anéantir ce fumier dans un brasier plus féroce que n’importe quel feu jamais allumé pour une sorcière au temps des persécutions, mais l’angoisse qui l’habitait étreignait sa fureur et l’étouffait dans sa poitrine où elle pesait comme une Église. Il sentait son corps couvert de la sueur froide de la peur trembler. Le monde tournait autour de lui alors qu’il n’aurait pas dû. Bien sûr, la voiture bougeait, mais lui-même restait immobile à l’intérieur.
Une sensation de pesanteur alourdissait sa poitrine et entravait sa respiration. Ce n’était plus du sang qui irriguait son corps, mais de l’épouvante pure qui prenait une consistance solide et visqueuse dans ses veines. Son cœur palpitait dans son crâne en faisant trémuler une veine sur sa tempe. Sa vision se brouillait.
« Est-ce que je me fais comprendre, Matthiaassss ? Ou il faut que je fasse sur toi une petite démonstration de ce que je leur ferai ? »
Matthias ouvrit la bouche pour assurer qu’il s’acquitterait de la mission de Ricardo dès le lendemain, mais un coup de frein brutal transforma ses mots en nouvelle exclamation de terreur.
Le vampyre et lui furent projetés en même temps contre les sièges devant eux. Une montée d’adrénaline violente comme une déflagration pulsa dans ses vaisseaux alors que son corps décollait de la banquette puis…
Le noir.
Les ténèbres l’engloutirent.
Alan adressa des coups de klaxon rageurs et des gestes dépourvus de toute sympathie et d’élégance au conducteur de la voiture qui l’avait forcé à s’immobiliser précipitamment en déboulant n’importe comment d’une rue adjacente. Celui-ci lui répondit avec la même courtoisie, puis fila en voyant qu’il faisait mine d’ouvrir la portière pour sortir.
« Ouais c’est ça dégage ! Pauvre nouille ! »
Bon Dieu, qu’Alan pouvait détester la nervosité et l’incivilité des romains au volant.
Il redémarra la Mercedes avant que les bougres qui le suivaient ne se mettent à le houspiller parce qu’il ralentissait la circulation et achèvent de l’irriter.
Ruminant l’accident évité de justesse, il ne fit pas attention au silence qui régnait à l’arrière de la voiture jusqu’à ce qu’il entende Dylan jurer.
« Quoi ? Demanda Alan sans aménité.
– Il est cané. Le député. Il était pris du cœur ?
– Quoi !?
Alan se retourna sur son siège. Son compagnon contemplait gravement le corps livide étendu sous lui sur la banquette. Matthias Corvi semblait en effet aussi flasque qu’un poisson mort.
– Mais qu’est-ce que t’attends ?! Fais lui un massage cardiaque pour faire repartir son cœur !
– J’ai essayé. Y veut pas.
Les fragrances subtiles du parfum de la mort, inodores pour un nez humain, mais nettement perceptibles pour les sens vampyriques, commençaient effectivement à se répandre dans l’habitacle.
– Dylan ! Enragea Alan en se retournant vers la route. Putain, t’es con ! Ricardo nous avait simplement demander de lui faire peur, pas de le tuer.
– Pourquoi ce serait forcément de ma faute ? C’est peut-être à cause de ton coup de frein de merde qu’il est mort !
– Je n’ai pas eu le choix, on allait emboutir quelqu’un. Putain ! Qu’est-ce qu’on va faire maintenant ?
– On s’arrête dans un coin paumé et on creuse un trou. Ou alors on le bouffe.
Alan lui jeta un regard d’incrédulité écœuré dans le rétroviseur.
– Tu es sérieux ? Je ne mangerai jamais cette carne.
– Je te demande pas de le bouffer tout cru. On a qu’à le ramener au clan. Je pense qu’il serait intéressant dans un ragoût ou une potée.
– Arrête, personne n’en voudra.
– Bon alors on creuse un trou, on le fout dedans et on dit à Ricardo qu’on n’a pas réussi à le trouver.
– Inutile de lui mentir, Ricardo finira par découvrir la vérité…
– Ah ouais, et comment ? Si tu lui racontes pas, je vois pas comment il pourrait savoir.
– Dylan, réfléchis deux minutes : la disparition de Matthias Corvi fera la une de tous les journaux du pays dans moins d’une semaine. Même si nous prétendons que Corvi est sagement rentré chez lui après qu’on lui ait parlé, je doute que Ricardo ne fasse pas le rapprochement entre nous et l’événement.
– Alors pourquoi tu m’emmerdes ? On rapporte son putain de cadavre au clan, on le montre à Ricardo en lui expliquant qu’on a rencontré un petit problème – il n’avait qu’à nous dire qu’il était cardiaque, c’est débile de nous envoyer menacer un type sans nous préciser qu’il ne faut pas le secouer trop fort – puis on le donnera aux chiens, ils seront toujours moins difficiles que toi.
– Ricardo va nous défoncer.
– Toi peut-être. Il me défonce pas, moi. Je me laisse pas faire par un mec qui a la carrure d’une crevette au régime.
– Parce que tu crois que Leon nous félicitera lui aussi ? Putain, y a plein de trucs pour lesquels la Famille dépendait de ce type. On a vraiment foiré là.
– Bah. Fais confiance à Ricardo et aux tribuns pour trouver d’autres marionnettes.
Alan lui jeta un regard grave.
– Parfois je me demande si tu comprends vraiment les enjeux de la politique, Dylan…
– Je m’en cogne royal, de tous ces guignols en costard. Pis pourquoi tu insinues que c’est forcément à cause de moi qu’il est mort ? Arrête toi là.
– Pourquoi faire ? On ne l’enterre pas. On le ramène à Ricardo et on s’explique.
– Oublie un peu Ricardo. Il doit être en train de se faire troncher par Leon et Ned comme un salaud pendant qu’on est dehors sous la pluie, avec un cadavre de vieux même pas comestible. Arrête-toi.
– Dis moi pourquoi.
– Bordel, Alan, arrête cette fichue caisse. Je vais retenter le massage, mais il faut le sortir de la voiture.
– Non. Puisqu’on est à une minute de l’hôpital américain, on fonce le déposer là-bas. Avec un peu de chance, ils seront plus doués que toi pour administrer un massage cardiaque. Puis avec ta sale tronche, même si tu parvenais à le réanimer, son cœur s’arrêterait aussi sec. »
⁂
Depuis le siège passager de la Mercedes où il (s’im)patientait depuis près de quinze minutes, Dylan regarda son congénère quitter l’hôpital américain de Rome sous une pluie battante et se hâter vers la voiture.
« Alors ? Fit Dylan alors qu’Alan ouvrait la portière et s’installait derrière le volant.
– Ils l’ont pris en charge. Je leur ai raconté que je le raccompagnais chez lui et qu’il avait subitement fait un malaise. J’ai dû rendre les infirmières un peu somnolentes afin d’éviter qu’elles me retiennent. J’espère qu’il va s’en sortir sinon on est foutu. Putain, mêmes des maffiosi du dimanche auraient fait mieux que nous. On doit être les deux kidnappeurs les plus ridicules de toute l’histoire de Rome. Je ne crois pas qu’aucun criminel n’ait jamais amené sa victime à l’hôpital après lui avoir accidentellement déclenché un arrêt cardiaque. Tout le Clan va se foutre de nous….
– Ouais, laissa tomber Dylan, l’air préoccupé. A ce propos, j’ai un service à te demander. Si jamais Corvi ne s’en sort pas, dis à Ricardo que tu es certain que c’est à cause de la voiture qui t’a coupé la route.
Alan lui jeta un regard indigné.
– Tu savais autant que moi que tu étais en train de forcer sur son cœur avec ta connerie de serpent. Tu entendais forcément ses battements. Tu as forcément senti dans son aura que Corvi allait mal.
Dylan poursuivit, maussade :
– D’accord, j’ai merdé. Mais Ricardo pardonnera si la faute vient de « toi », alors que moi, il me punira. J’ai promis à Atia de l’emmener à Milan ce week-end, je n’ai pas envie de m’y promener avec la gueule violette et d’avoir l’air d’un minable. »
Alan le regarda gravement, puis opina. Ricardo était parfaitement capable de maîtriser Dylan, sans quoi celui-ci n’aurait jamais accepté de se soumettre à son autorité, mais l’issue du combat restait très incertaine et il se risquait rarement à le corriger lui-même. En revanche, il n’avait aucun scrupule à demander à Leon, son autre garde du corps encore plus imposant que Dylan, de distribuer les punitions en son nom.
« Merci Alan, t’es vraiment un ami.
– On peut au moins espérer que Corvi retienne la leçon…, commenta Alan alors qu’il redémarrait le véhicule et s’éloignait des abords de l’hôpital.
– Même s’il s’en sort, il ne pourra pas présenter le projet au Parlement demain.
– C’est pas grave, il le fera quand il pourra. Je doute qu’il prenne le risque que tu ailles voir ses petites filles.
Dylan ricana et alluma la radio. La diction parfaite du présentateur d’une station d’information investit l’habitacle :
– Pour rappel, le séisme de la nuit du 23 au 24 août a fait près de 300 morts, 2.600 déplacés et rasé trois villages. Dans les ruines, des bâtiments récents se sont effondrés. Les mafias qui seraient intervenues dans leur construction sont montrées du doigt. Aujourd’hui, certains craignent que ces organisations criminelles ne mettent la main sur les futurs marchés de reconstruction dans la région de Campanie. »
Dylan appuya sur les boutons de l’autoradio jusqu’à trouver une fréquence qui lui convenait. Il s’arrêta sur une station musicale qui annonçait la diffusion immédiate d’un morceau du groupe The Animals. Les premières notes du titre The House Of The Rising Sun s’élevèrent dans la Mercedes tandis qu’elle filait vers l’Est et les Apennins, la retraite des vampyres de la Maison Lepide.

Merci de m’avoir lu !
Si la rencontre d’Alan et Dylan vous a plu, haut les cœurs ! Vous pourrez les retrouver tous deux dans mon roman de fantaisie urbaine : Les Ombres de Rome, ainsi que dans les autres récits des Chroniques de la Maison Lepide.
Les personnages de Ned et Ricardo apparaissent également dans le roman et les Chroniques. Deux autres textes leur seront dédiés afin de vous présenter le trio rock Naamaah, célèbre dans l’univers de mes romans, au complet. Vampyres, sexe et spaghettis présentera le personnage de Ned Vesari, servant humain de Ricardo Uzzeni qui lui sera présenté dans Politique et Rock’N’Roll.
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@ bientôt quelque part, dans les rues de Rome ou celles de Paris, ici ou ailleurs sur le net !
Chris
J’ai adoré ce texte qui répond très bien au défi qui t’étais proposé 😁 on a pas du tout envie de rencontrer Dylan !! Et en meme temps je me languis de lire encore d’autres textes se passant dans l’univers et faisant intervenir ces personnages 😍 on voit que tout est bien travaillé et on voudrait juste que l’auteur sorte toutes les idées de sa tête pour qu’on puisse en profiter ! Je pense que tu t’es lancé dans une chronique que tu ne pourras pas arrêter sous peine de faire une révolution chez les lecteurs !
J’aurais tout de même aimé savoir ce qu’il advient de ce pauvre homme et en même temps, je trouve que le récit s’arrête au bon endroit et aussi sur une très bonne musique 😁
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Merci beaucoup pour ta lecture et ton retour, Leah 😊
Je compte bien les sortir de ma cervelle, ces fichues idées, elles me harcèlent trop pour ça ! J’aimerais juste que les journées fassent plus de 24 heures, ne pas avoir besoin de dormir ou de travailler à temps plein *soupir* Si seulement… Mais haut les cœurs ! On ne lâche rien et j’ai le plaisir de te dire que Matthias Corvi sera également présent dans « Vampyres, sexe et spaghettis » et dans « Politique et rock’n’roll ». J’ai hésité et finalement décidé que les trois textes du triptyque se suivraient.
Au plaisir de te retrouver quelque part, dans notre réalité ou celle d’Alan et Dylan,
Chris
PS : Pour la révolution, ne la déclenchez pas trop vite où je file me terrer dans une grotte, tremblant, avec manuscrits et personnages xD
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Ce texte est très prenant, du début jusqu’à la fin. Ta plume est à la fois légère et précise ; elle dépeint une ambiance, habilement modulée selon la survenance des évènements, qui nous transporte en plein cœur de cette intrigue.
Les personnages y sont convaincants et ne paraissent pas caricaturaux, comme c’est souvent le cas.
Dylan, bien que malsain à souhait, ne dévoile que progressivement le gouffre de sa perversité. Sa perfidie n’est pas d’emblée portée à son paroxysme… -d’ailleurs je me doute bien qu’on a, ici, aperçu que la partie émergée de l’iceberg- …ce qui le rend vivant et palpable.
Alan lui, qui parait, aux premiers abords, totalement indifférent tant son calme est olympien, finit par montrer des failles lorsqu’ils pensent qu’ils ont perdu Matthias. Celui qui nous paraissait intouchable se retrouve vulnérable devant la menace que semble être le mystérieux Ricardo. Là encore, cela joue sur l’authenticité du personnage !
Par contre… j’ai trouvé que Matthias disposait d’un self control à toute épreuve, peut-être trop héroïque, avant l’attaque du serpent (enfin, il faut prendre cette phrase avec modération… j’ai bien vu qu’il était impacté, naturellement, mais pas autant que ce que je m’imaginais). Après, je pense que cet aspect-là m’a surtout dérangé parce que j’ai vraiment été mal à l’aise dès l’instant où Dylan s’est montré plus tactile -jamais je n’aurai pu rester aussi « calme » que Matthias, à ce moment-là-.
Et enfin je tiens à souligner que j’ai particulièrement aimé cette petite note de légèreté qui succéde à la tension, à la fin de l’écris ! Voir Alan et Dylan discuter entre eux, se décider sur ce qu’ils allaient faire de Matthias, m’a fait sourire et m’a beaucoup plu ! J’ai aimé la dynamique qu’il y avait entre ce duo que j’espère pouvoir revoir bientôt !
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Mille mercis Ashes pour le temps que tu as consacré à me lire et à m’écrire ce retour détaillé. Je suis ravi que tu aies apprécié la compagnie du duo formé par Alan et Dylan ! Nombre de mes personnages fonctionnent en duo, et celui-ci doit compter parmi mes préférés (avec le duo Ricardo/Leon dont il est également question, plus discrètement, dans ce texte). Le calme et le caractère réfléchi d’Alan compensent l’impulsivité de Dylan et contribuent à le rendre un peu plus fréquentable (et lui évitent de commettre certaines bêtises regrettables pour eux ou le Clan Lepide).
Tes ressentis sur les personnages me seront précieux pour le deuxième jet ! J’ai hésité à rendre Corvi plus « suppliant », mais je suis parti du principe qu’en tant que député et fréquentant (même si malgré lui) les vampyres depuis plusieurs décennies, il était rompu à conserver son calme. Son sang bout de terreur entre les mains de Dylan, mais comme celui-ci l’empêche de bouger et qu’il se sait coincé dans la voiture… et qu’il sait également qu’insulter un vampyre ne constitue jamais une idée brillante, il s’astreint au calme dans une âpre négociation avec son instinct de survie. Ta remarque est donc très intéressante. Soit j’essaierai de faire ressortir davantage sa peur dans le deuxième jet, soit je donnerai à son attitude générale une allure plus pitoyable…
Merci encore pour ton retour 😊
Alan et Dylan reviendront probablement dans les deux autres textes sur Ned et Ricardo, mais ils seront également très présents, en plus du roman « Les Ombres de Rome », dans un novella en cours d’écriture où nous suivrons un adolescent fan du groupe de musique que Dylan forme avec Ned et Ricardo… (et tel Matthias, l’adolescent – qui d’ailleurs s’appelle Matthieu, pas fait exprès – n’appréciera guère Dylan !)
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C’est plutôt à moi de te remercier ; ce texte était un réel délice à parcourir !
Ce qu’il y a de bien avec le duo formé avec Alan et Dylan c’est que, en plus du fait que les deux personnages sont complémentaires, ils ont une dynamique très naturelle et fluide. Quitte à me répéter ; ils sont vivants et je trouve ça magique ! Lorsque le texte s’est orienté sur leur discussion, j’ai vraiment eu l’impression d’être à coté d’eux et d’assister à une sorte de petite dispute de vieux couple. C’était génial ! Et pour ce qui est de Ricardo et Leon, j’ai hâte de pouvoir les croiser ; le peu qu’il est mentionné sur eux me donne envie de les connaitre davantage et de pouvoir entrevoir leurs interactions.
Pour Matthias… je tiens à préciser que je ne le voyais pas non plus être suppliant. Comme tu l’as souligné, c’est un politicien ! Qui plus est, son chemin croise souvent celui des vampyres, et ce depuis de nombreuses années. Donc, je n’avais pas de lui l’image d’une loque tremblante et implorante en tête. Non, pour moi c’est quelqu’un qui sait se maitriser et qui dispose d’une certaine résistance au stress de manière générale… du moins en apparence. Mais, sur le coup, si je comprends son discours posé -qui définit l’image forte qu’il veut et qu’il se doit de donner ; et en ce sens il est parfait dans sa prise de parole-, je trouve que l’accent n’est pas assez donné sur ses tourments intérieurs ou même sur les manifestations physiques de son trouble ( parce qu’on le sent, qu’il n’est pas à l’aise, je te rassure ! Mais il y a un petit quelque chose qui fait que, rha ! Je n’ai pas été tout à fait convaincu ). Maiiiis après c’est peut-être moi qui chipote aussi, hein ! Ou alors, c’est que Dylan et Alan étaient plus présents et palpables que Matthias, ce qui me donne l’impression que ce dernier est plus effacé ? Je ne saurai te dire.
J’ai hâte de pouvoir lire tes autres textes et de m’égarer encore davantage dans ton univers ! Je t’envoie toutes les meilleures ondes possibles pour l’écriture de ton roman et pour tous tes projets d’écriture !
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Merci beaucoup pour ton enthousiasme qui fait vraiment plaisir à lire !
Merci également une nouvelle fois pour tes remarques constructives. Je perçois ce que tu veux dire. Je l’avais effleuré des doigts également en écrivant le texte, sans parvenir à déterminer l’origine de cette impression. Peut-être en effet qu’Alan et Dylan effacent Matthias par leur présence (ce qui pour le coup est plutôt cohérent avec l’univers, les vampyres concentrant une charge énergétique plus forte que celle des êtres humains, mais n’était pas voulu), car il s’agit de « vieux » personnages qui m’accompagnent depuis plus de dix ans maintenant. Et pour ce qui est d’être vivants, tu ne crois pas si bien dire… (mais tu devines maintenant 😉 ). Je les connais donc assez bien, alors que Matthias, malgré les apparences, est un jeunot né avec ce texte (c’est toujours émouvant d’assister à une naissance). Je ne maîtrise donc pas encore totalement son essence, il doit encore me faire certaines confidences…
Dans tous les cas, je retravaillerai sur cet aspect dans la prochaine version pour le rendre lui aussi un peu plus palpable !
Au risque de me répéter, mais c’est le genre de répétition qui fait plaisir donc je ne vais pas me priver, merci encore pour ton soutien et ton enthousiasme ! Le prologue du roman est disponible à la lecture sur le blog si tu as du temps à tuer un de ces quatre 😉
@ bientôt quelque part, en compagnie d’Alan et Dylan, de Ricardo, Ned ou Leon, ou des innombrables autres êtres qui hantent mon esprit !
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Pffiou, effectivement, on a pas très envie de rencontrer ce Dylan…
J’aime beaucoup l’ambiance, le jeu d’illusion est flippant à souhait x)
J’aime beaucoup aussi le fait que, même sans (bien) connaître l’univers ni le projet, on comprend quand même les enjeux et ce qui se passe autour de cette nouvelle. Bien joué !
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Avec mes excuses pour le temps de latence, merci beaucoup pour ta lecture et ton retour 😊 Cela me fait extrêmement plaisir. Tu as vu comme Dylan est vil 🤣 😈
Je suis heureux également d’être parvenu à bien exposer les enjeux même s’il ne s’agit que d’un court récit. Clairement l’un des défis de ce texte se situait à ce niveau-là. La version finale sera certainement encore plus éclairante 😉
Bonne fin de semaine et à bientôt quelque part ! Peut-être à nouveau dans les rues de Rome.
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